De la protection des travailleurs à l'égalité des sexes
Le concept de congé maternel protégé a des racines historiques bien plus profondes que son équivalent paternel. Les premières mesures législatives en Suisse remontent à la Loi sur les usines de 1877, qui accordait un temps de repos de 8 semaines aux mères, dont six devaient suivre l'accouchement. À cette époque, l'accent était mis exclusivement sur la protection de la santé physique des mères et des nourrissons, sans aucune considération pour le rôle du père ou les liens familiaux.
Le contexte international révèle une approche légèrement plus progressiste ailleurs. L'Allemagne a instauré une protection juridique pour les femmes enceintes en 1878, tandis que la France a mis en place la sécurité de l'emploi pour les mères en 1909. La Conférence de l'Organisation internationale du travail (OIT) de Washington en 1919 a marqué une étape importante en accordant aux femmes enceintes et aux jeunes mères le droit à une aide financière pouvant aller jusqu'à 12 semaines, même si la Suisse a finalement refusé de ratifier cette mesure en 1921.
La transformation philosophique du congé parental, passant d'une conception purement de la protection de la santé à une vision comme outil d'égalité des sexes et de partage des responsabilités parentales, a véritablement débuté dans les années 1970. Les mouvements féministes ont remis en question le modèle traditionnel de l'homme pourvoyeur de ressources, tandis que la recherche soulignait de plus en plus l'importance du lien père-enfant dans le développement précoce.
Les pionniers nordiques et les « quotas de pères »
La Suède est entrée dans l'histoire en 1974 en devenant le premier pays à instaurer un congé parental non sexiste. Initialement, cette politique laissait aux familles la possibilité de répartir le congé comme elles le souhaitaient, mais une tendance persistante s'est dégagée : les mères continuaient de prendre la grande majorité des jours de congé disponibles. Cela a conduit à une innovation majeure en 1995 : le « quota de pères » ou « mois du père », soit 30 jours de congé payés réservés exclusivement aux pères, sans possibilité de les prendre avant la fin de la période de congé.
L'impact a été immédiat et profond. Comme le montre la figure 1, la part des congés parentaux réservés aux hommes en Suède a considérablement augmenté après chaque élargissement du quota de congés de paternité. Cette politique a créé des incitations économiques pour les pères à prendre un congé, car les familles perdraient autrement ces jours rémunérés. De plus, et c'est tout aussi important, elle a contribué à lever la stigmatisation sociale associée au fait pour les hommes de prendre un congé pour s'occuper de leurs enfants.
La Norvège a suivi une voie similaire, en instaurant son propre quota de congés de paternité en 1993, et les deux pays ont progressivement étendu ces périodes réservées au fil du temps. Ce modèle nordique a depuis influencé les politiques familiales à travers l'Europe, démontrant qu'un congé réservé et non transférable aux pères pouvait réellement modifier les comportements, plutôt que de simplement espérer que des politiques non sexistes conduisent naturellement à une égalité d'utilisation.
Tableau : Évolution du congé de paternité dans les pays nordiques
| Année |
Suède |
Norvège |
Impact |
| 1974 |
Introduction du congé parental non sexiste |
|
Faible participation des pères |
| 1993 |
|
Mise en place d'un quota de 4 semaines de congé paternité |
|
| 1995 |
Introduction d'un « mois du papa » de 30 jours |
|
Augmentation de 50 % de la participation des pères |
| 2002 |
Extension à 60 jours |
Augmentation du quota |
|
| 2016 |
Extension à 90 jours |
Augmentation du quota |
La part des pères atteint 31 % en Suède |